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Voici quelques premières pages.
1
Morts sur
ordonnance
Un suicide ! Mais un
suicide pas banal. Un suicide en famille, pour ainsi dire. Un homme, une femme,
un gamin d’une dizaine d’années retrouvés morts dans leurs lits. Pas le moindre
signe de violence, de souffrance, de désordre dans la chambre. « On aurait dit qu’ils faisaient la grasse
matinée », lui avait raconté la propriétaire lorsqu’il était arrivé
sur les lieux. Une belle pièce confortable, meublée façon antiquaire, style
Régence, un grand lit et deux d’une place, salle de bains et toilettes, entrée
indépendante du reste de la bastide donnant sur un jardin à la française avec
vue sur la mer.
Les policiers du
commissariat de quartier du Mourillon avaient fait le premier constat. Les
corps avaient été vite enlevés. En revanche, ils n’avaient touché à rien dans
la chambre. Ils n’avaient manifestement pas l’intention de s’embarrasser de
cette affaire, préférant refiler le bébé à leurs collègues de l’hôtel de police
de la ville.
Pourquoi l’avait-il
désigné pour mener cette enquête ? Pour lui montrer qu’il comptait
toujours sur lui ? Parce qu’aucun autre officier n’était disponible ce
jour-là ? Parce que c’était une affaire sans intérêt ? Une future
affaire classée sans suite ? Depuis un an à peu près, il se posait ce
genre de question chaque fois que le patron faisait appel à lui. Et cela
n’arrivait pas souvent.
À cette époque, deux
événements avaient bouleversé le quotidien à la PJ de Toulon et le sien en
particulier : la mort horrible de la capitaine Amandine Évrard, enlevée
par des pervers psychopathes, et la démission de son chef de groupe, Félicien
Aubin, qui l’avait pris sous son aile au début de sa carrière. C’est à la suite
de ces événements extraordinaires que le commissaire divisionnaire Jean-Pierre
Dumoulin l’avait pris en grippe.
En entrant dans la
chambre, il avait remarqué, sur la commode, trois verres, une bouteille d’eau
minérale presque vide, un bidon de sirop de fraise à peine entamé, une trousse
de toilette et une enveloppe non cachetée contenant une lettre tapée à
l’ordinateur. Le mari, le père, y
expliquait son geste, ou plutôt tentait-il de le justifier. Les flics du
Mourillon en avaient forcément eu connaissance, mais l’avaient abandonnée sur
place. Ben voyons, se dit-il. Il
s’agissait tout de même d’une pièce à conviction d’une importance
capitale !
Mardi 12
février 2019. Il retiendrait cette date. C’était
peut-être enfin la sortie du tunnel. Ses plus proches collègues l’espéraient.
Ces derniers mois, ils l’avaient encouragé à s’accrocher, à faire preuve de
patience. Lui, en revanche, était persuadé de connaître la vérité. Une vérité
inavouable, mesquine : il fallait bien l’occuper, ce petit officier
médiocre, ne pas l’ostraciser exagérément afin d’éviter que son syndicat ne
s’en mêle. C’était aussi simple que ça. Dumoulin n’avait aucune considération
pour lui. Cela ne s’était pas vu tant qu’il avait été l’adjoint du capitaine
Aubin, mais après la démission de ce dernier, le patron de la PJ n’avait plus
eu à dissimuler son aversion. Et pourquoi ce rejet ? Parce qu’il
s’appelait Belaïd. Aussi stupide que cela puisse paraître. Aussi
« dégueulasse ». Du moins, c’était ce qu’il pensait.
Un an à se morfondre,
affecté à des tâches subalternes : des constats de décès, des
cambriolages, des vols à l’étalage ou à l’arrachée,
des conflits de voisinage, des bagarres de parking ou des rixes entre pochards.
Il n’en avait rien dit à son père pour ne pas le démoraliser. Il prenait son
mal en patience. « Dudu » avait soixante-trois ans, il ne tarderait
pas à faire valoir ses droits à la retraite. Il aurait alors de nouveau sa
chance pour mener des enquêtes plus gratifiantes.
***
Dans son bureau, à
l’hôtel de police, il en était à la énième lecture de ce texte court, sans date
ni destinataire. Un bon moyen de perdre
son temps, se moqua-t-il de lui-même.
Il n’avait rien d’autre à faire pour l’instant.
Je n’ai
plus la force d’imaginer ce que sera notre vie, à Kévin et à moi, lorsque sa
maman, ma femme, ne sera plus là. Sa maladie est, hélas, incurable et sa
dégradation prévisible. Sa fin aurait été cruelle, insupportable, pour elle,
pour moi et pour notre petit chéri. J’ai pris, seul, cette terrible décision.
Afin de nous éviter, à nous trois, des souffrances inutiles.
Laurent
Daumas
Tout semblait si
simple ! Une femme gravement malade, un type en sévère dépression et un
acte a priori insensé.
Frédéric Belaïd occupait
son esprit à imaginer des scénarios tous plus ou moins improbables et à vagabonder
dans son passé.
Toute sa vie, pour peu
qu’il s’en souvienne, dès l’école primaire en tout cas, à Clichy-sous-Bois en
Seine-Saint-Denis, il avait appris à jouer des coudes et des poings pour se
faire une place au soleil. Nonobstant un physique tout en nerfs, certes, mais
plutôt frêle, il s’était forgé un sacré caractère à force de se colleter à tous
les racismes imbéciles qui auraient pu le faire renoncer plusieurs fois à
poursuivre ses études au lycée, à la fac de droit, ou à se présenter au concours
d’entrée à l’École nationale supérieure des officiers de police de
Cannes-Écluse en Seine-et-Marne. Ses parents avaient tenu à lui donner un
prénom « bien français » : Frédéric. Un gage d’intégration à la
République, croyaient-ils. Il y pensait toujours avec émotion, à ses parents,
surtout depuis la mort de sa mère. Une vie de labeur, de vexations,
d’humiliation et de dévouement aux siens. « Frédéric Belaïd, lieutenant à
la PJ de Toulon ! » Elle en était si fière. « Ça en jette ! »
s’était réjoui son père, le jour de sa nomination.
Frédéric avait
trente-cinq ans. Il était le porte-drapeau de la fratrie. Ses deux frères et
ses deux sœurs, plus âgés que lui, n’avaient pas suivi la même voie, mais ils
avaient tous un emploi. Aucun d’eux ne vivait « aux crochets de la
sécu », comme il l’avait entendu dire tant de fois de ses semblables
originaires du Maghreb.
Il tournait et retournait
dans ses mains les deux boîtes de Gardénal 50
mg, saisies dans la trousse de toilette du mari. L’une était vide, dans
l’autre il manquait une plaquette. En tout une trentaine de comprimés. C’est sûr qu’il y a de quoi
« suicider » un éléphant, pensa-t-il. Comment cet homme avait-il
pu se procurer une telle quantité de ce médicament délivré sur
ordonnance ? Et comment avait-il pu faire ingurgiter autant de cachets à
sa femme et à son enfant ?
Et d’ailleurs, qui était
Laurent Daumas ?
Lorsqu’il avait retenu le
studio sur Internet, il s’était présenté comme technicien en informatique.
Épouse sans profession, un fils de dix ans. Ils habitaient à Cergy-Pontoise,
dans le Val-d’Oise. La veille de leur arrivée, le vendredi 87
février, il avait appelé la loueuse. Le
courant était tout de suite passé. Surmené, il souhaitait prendre quelques
jours de vacances, au soleil si possible. « Le climat à Paris est déprimant », avait-il déploré.
La propriétaire avait
hérité de la belle bastide provençale, située dans le quartier résidentiel du
Cap Brun, à la suite du décès de son mari. Elle louait la chambre en question
plusieurs semaines par an. Ce n’était pas pour arrondir ses fins de mois, sa
pension de retraite de commerçante et les placements que lui avait légués son
époux la mettaient à l’abri du besoin.
C’était plutôt pour la compagnie. À quatre-vingt-un ans, la solitude lui pesait
parfois et la présence de locataires en vacances, souvent avec des enfants, la
distrayait et la rassurait.
Le matin du 12
février, elle avait frappé à la porte du studio
à 9 heures, comme convenu à l’arrivée des voyageurs. Elle apportait un
grand plateau garni pour le petit-déjeuner. N’ayant pas eu de réponse, elle
avait pensé qu’il était sans doute trop tôt et avait regagné sa cuisine sur la
pointe des pieds. Une demi-heure plus tard, elle avait refait du café, préparé
du chocolat pour le petit et avait de nouveau toqué à la porte, un peu plus
fort. Les vacanciers ne s’étant toujours pas manifestés, elle avait supposé
qu’ils étaient sortis le matin de bonne heure avant qu’elle ne se lève, afin de
« profiter du beau temps » de cet hiver exceptionnellement doux et
ensoleillé. Le verrou n’étant pas tiré, elle était entrée dans la chambre et
avait constaté que l’homme et la femme dans le grand lit, leur fils dans l’un
des deux petits, semblaient dormir. Elle avait laissé le plateau sur la table
basse en se disant que l’odeur du café les ferait émerger en douceur et s’en
était retournée vaquer à ses occupations. Cependant, quelque chose l’avait
intriguée dans la pénombre de la pièce, sans qu’elle puisse comprendre de quoi
il s’agissait.
Un peu après onze heures,
de retour du marché, en arrivant devant la façade, elle avait trouvé bizarre
que les volets de la chambre soient toujours fermés. Elle s’était inquiétée. Et s’ils étaient malades ? La
veille au soir, ils l’avaient prévenue qu’ils dîneraient dans un restaurant du
centre-ville. Elle les avait entendus rentrer vers 23 heures. Et s’ils étaient victimes d’une intoxication
alimentaire ? Il fallait qu’elle s’assure que tout allait bien, qu’ils
n’avaient pas besoin d’aide, de médicaments, d’un médecin. Elle prenait son
rôle d’hôtesse au sérieux.
C’était ainsi qu’elle
avait découvert le drame survenu pendant la nuit dans sa belle demeure.
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