La littérature policière s’efforce de refléter la société telle qu'elle a été, qu'elle est, ou qu'elle devient.
Est-ce prétendre, alors, qu’énigmes, crimes ou intrigues, ne sont que prétextes à évoquer des faits passés, actuels ou futurs, qu'ils soient politiques, économiques, sociaux, régionaux ou nationaux, voire internationaux ?
Certainement pas.
Néanmoins l'enquête policière se déroule dans un environnement donné. Enquêteurs et criminels sont des hommes et des femmes immergés dans ce contexte.
Pour ce qui est de l'environnement, dans mes polars, c'est le Sud. Le sud de la France, et plus particulièrement, le Var, ses paysages, son climat, la mer, la mentalité de ses habitants, l'apparente convivialité et la violence sous-jacente.
Pour le contexte sociétal, ce sont les grands thèmes qui marquent notre époque : les injustices, la science, l'écologie, le climat, les migrations, le terrorisme, les droits de l'homme, le nationalisme, etc...

jeudi 30 avril 2020

Sortie de la version numérque du "Monde des anges"

Vendredi 1er mai.
Prix du téléchargement : 5.99 €

Pour la version "papier", il faudra attendre le.... 11 MAI ! Evidemment !
Prix : 19.90 €

Voici quelques premières pages.
1

Morts sur ordonnance


Un suicide ! Mais un suicide pas banal. Un suicide en famille, pour ainsi dire. Un homme, une femme, un gamin d’une dizaine d’années retrouvés morts dans leurs lits. Pas le moindre signe de violence, de souffrance, de désordre dans la chambre. « On aurait dit qu’ils faisaient la grasse matinée », lui avait raconté la propriétaire lorsqu’il était arrivé sur les lieux. Une belle pièce confortable, meublée façon antiquaire, style Régence, un grand lit et deux d’une place, salle de bains et toilettes, entrée indépendante du reste de la bastide donnant sur un jardin à la française avec vue sur la mer.
Les policiers du commissariat de quartier du Mourillon avaient fait le premier constat. Les corps avaient été vite enlevés. En revanche, ils n’avaient touché à rien dans la chambre. Ils n’avaient manifestement pas l’intention de s’embarrasser de cette affaire, préférant refiler le bébé à leurs collègues de l’hôtel de police de la ville.

Pourquoi l’avait-il désigné pour mener cette enquête ? Pour lui montrer qu’il comptait toujours sur lui ? Parce qu’aucun autre officier n’était disponible ce jour-là ? Parce que c’était une affaire sans intérêt ? Une future affaire classée sans suite ? Depuis un an à peu près, il se posait ce genre de question chaque fois que le patron faisait appel à lui. Et cela n’arrivait pas souvent.
À cette époque, deux événements avaient bouleversé le quotidien à la PJ de Toulon et le sien en particulier : la mort horrible de la capitaine Amandine Évrard, enlevée par des pervers psychopathes, et la démission de son chef de groupe, Félicien Aubin, qui l’avait pris sous son aile au début de sa carrière. C’est à la suite de ces événements extraordinaires que le commissaire divisionnaire Jean-Pierre Dumoulin l’avait pris en grippe.

En entrant dans la chambre, il avait remarqué, sur la commode, trois verres, une bouteille d’eau minérale presque vide, un bidon de sirop de fraise à peine entamé, une trousse de toilette et une enveloppe non cachetée contenant une lettre tapée à l’ordinateur. Le mari, le père, y expliquait son geste, ou plutôt tentait-il de le justifier. Les flics du Mourillon en avaient forcément eu connaissance, mais l’avaient abandonnée sur place. Ben voyons, se dit-il. Il s’agissait tout de même d’une pièce à conviction d’une importance capitale !
Mardi 12 février 2019. Il retiendrait cette date. C’était peut-être enfin la sortie du tunnel. Ses plus proches collègues l’espéraient. Ces derniers mois, ils l’avaient encouragé à s’accrocher, à faire preuve de patience. Lui, en revanche, était persuadé de connaître la vérité. Une vérité inavouable, mesquine : il fallait bien l’occuper, ce petit officier médiocre, ne pas l’ostraciser exagérément afin d’éviter que son syndicat ne s’en mêle. C’était aussi simple que ça. Dumoulin n’avait aucune considération pour lui. Cela ne s’était pas vu tant qu’il avait été l’adjoint du capitaine Aubin, mais après la démission de ce dernier, le patron de la PJ n’avait plus eu à dissimuler son aversion. Et pourquoi ce rejet ? Parce qu’il s’appelait Belaïd. Aussi stupide que cela puisse paraître. Aussi « dégueulasse ». Du moins, c’était ce qu’il pensait.
Un an à se morfondre, affecté à des tâches subalternes : des constats de décès, des cambriolages, des vols à l’étalage ou à l’arrachée, des conflits de voisinage, des bagarres de parking ou des rixes entre pochards. Il n’en avait rien dit à son père pour ne pas le démoraliser. Il prenait son mal en patience. « Dudu » avait soixante-trois ans, il ne tarderait pas à faire valoir ses droits à la retraite. Il aurait alors de nouveau sa chance pour mener des enquêtes plus gratifiantes.

***

Dans son bureau, à l’hôtel de police, il en était à la énième lecture de ce texte court, sans date ni destinataire. Un bon moyen de perdre son temps, se moqua-t-il de lui-même. Il n’avait rien d’autre à faire pour l’instant.

Je n’ai plus la force d’imaginer ce que sera notre vie, à Kévin et à moi, lorsque sa maman, ma femme, ne sera plus là. Sa maladie est, hélas, incurable et sa dégradation prévisible. Sa fin aurait été cruelle, insupportable, pour elle, pour moi et pour notre petit chéri. J’ai pris, seul, cette terrible décision. Afin de nous éviter, à nous trois, des souffrances inutiles.
                                                                                Laurent Daumas

Tout semblait si simple ! Une femme gravement malade, un type en sévère dépression et un acte a priori insensé.
Frédéric Belaïd occupait son esprit à imaginer des scénarios tous plus ou moins improbables et à vagabonder dans son passé.

Toute sa vie, pour peu qu’il s’en souvienne, dès l’école primaire en tout cas, à Clichy-sous-Bois en Seine-Saint-Denis, il avait appris à jouer des coudes et des poings pour se faire une place au soleil. Nonobstant un physique tout en nerfs, certes, mais plutôt frêle, il s’était forgé un sacré caractère à force de se colleter à tous les racismes imbéciles qui auraient pu le faire renoncer plusieurs fois à poursuivre ses études au lycée, à la fac de droit, ou à se présenter au concours d’entrée à l’École nationale supérieure des officiers de police de Cannes-Écluse en Seine-et-Marne. Ses parents avaient tenu à lui donner un prénom « bien français » : Frédéric. Un gage d’intégration à la République, croyaient-ils. Il y pensait toujours avec émotion, à ses parents, surtout depuis la mort de sa mère. Une vie de labeur, de vexations, d’humiliation et de dévouement aux siens. « Frédéric Belaïd, lieutenant à la PJ de Toulon ! » Elle en était si fière. « Ça en jette ! » s’était réjoui son père, le jour de sa nomination.
Frédéric avait trente-cinq ans. Il était le porte-drapeau de la fratrie. Ses deux frères et ses deux sœurs, plus âgés que lui, n’avaient pas suivi la même voie, mais ils avaient tous un emploi. Aucun d’eux ne vivait « aux crochets de la sécu », comme il l’avait entendu dire tant de fois de ses semblables originaires du Maghreb.

Il tournait et retournait dans ses mains les deux boîtes de Gardénal 50 mg, saisies dans la trousse de toilette du mari. L’une était vide, dans l’autre il manquait une plaquette. En tout une trentaine de comprimés. C’est sûr qu’il y a de quoi « suicider » un éléphant, pensa-t-il. Comment cet homme avait-il pu se procurer une telle quantité de ce médicament délivré sur ordonnance ? Et comment avait-il pu faire ingurgiter autant de cachets à sa femme et à son enfant ?
Et d’ailleurs, qui était Laurent Daumas ?
Lorsqu’il avait retenu le studio sur Internet, il s’était présenté comme technicien en informatique. Épouse sans profession, un fils de dix ans. Ils habitaient à Cergy-Pontoise, dans le Val-d’Oise. La veille de leur arrivée, le vendredi 87 février, il avait appelé la loueuse.  Le courant était tout de suite passé. Surmené, il souhaitait prendre quelques jours de vacances, au soleil si possible. « Le climat à Paris est déprimant », avait-il déploré.
La propriétaire avait hérité de la belle bastide provençale, située dans le quartier résidentiel du Cap Brun, à la suite du décès de son mari. Elle louait la chambre en question plusieurs semaines par an. Ce n’était pas pour arrondir ses fins de mois, sa pension de retraite de commerçante et les placements que lui avait légués son époux la mettaient  à l’abri du besoin. C’était plutôt pour la compagnie. À quatre-vingt-un ans, la solitude lui pesait parfois et la présence de locataires en vacances, souvent avec des enfants, la distrayait et la rassurait.
Le matin du 12 février, elle avait frappé à la porte du studio à 9 heures, comme convenu à l’arrivée des voyageurs. Elle apportait un grand plateau garni pour le petit-déjeuner. N’ayant pas eu de réponse, elle avait pensé qu’il était sans doute trop tôt et avait regagné sa cuisine sur la pointe des pieds. Une demi-heure plus tard, elle avait refait du café, préparé du chocolat pour le petit et avait de nouveau toqué à la porte, un peu plus fort. Les vacanciers ne s’étant toujours pas manifestés, elle avait supposé qu’ils étaient sortis le matin de bonne heure avant qu’elle ne se lève, afin de « profiter du beau temps » de cet hiver exceptionnellement doux et ensoleillé. Le verrou n’étant pas tiré, elle était entrée dans la chambre et avait constaté que l’homme et la femme dans le grand lit, leur fils dans l’un des deux petits, semblaient dormir. Elle avait laissé le plateau sur la table basse en se disant que l’odeur du café les ferait émerger en douceur et s’en était retournée vaquer à ses occupations. Cependant, quelque chose l’avait intriguée dans la pénombre de la pièce, sans qu’elle puisse comprendre de quoi il s’agissait.
Un peu après onze heures, de retour du marché, en arrivant devant la façade, elle avait trouvé bizarre que les volets de la chambre soient toujours fermés. Elle s’était inquiétée. Et s’ils étaient malades ? La veille au soir, ils l’avaient prévenue qu’ils dîneraient dans un restaurant du centre-ville. Elle les avait entendus rentrer vers 23 heures. Et s’ils étaient victimes d’une intoxication alimentaire ? Il fallait qu’elle s’assure que tout allait bien, qu’ils n’avaient pas besoin d’aide, de médicaments, d’un médecin. Elle prenait son rôle d’hôtesse au sérieux.
C’était ainsi qu’elle avait découvert le drame survenu pendant la nuit dans sa belle demeure.


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