La littérature policière s’efforce de refléter la société telle qu'elle a été, qu'elle est, ou qu'elle devient.
Est-ce prétendre, alors, qu’énigmes, crimes ou intrigues, ne sont que prétextes à évoquer des faits passés, actuels ou futurs, qu'ils soient politiques, économiques, sociaux, régionaux ou nationaux, voire internationaux ?
Certainement pas.
Néanmoins l'enquête policière se déroule dans un environnement donné. Enquêteurs et criminels sont des hommes et des femmes immergés dans ce contexte.
Pour ce qui est de l'environnement, dans mes polars, c'est le Sud. Le sud de la France, et plus particulièrement, le Var, ses paysages, son climat, la mer, la mentalité de ses habitants, l'apparente convivialité et la violence sous-jacente.
Pour le contexte sociétal, ce sont les grands thèmes qui marquent notre époque : les injustices, la science, l'écologie, le climat, les migrations, le terrorisme, les droits de l'homme, le nationalisme, etc...

vendredi 22 mai 2015

Polar de terroir

Texte intégral de la conférence que j'ai donnée le 11 avril 2015 au Festival du polar de Sanary

L’enracinement des affaires criminelles dans la spécificité des territoires


Pour commencer cet exposé, je voudrais vous faire part de mes états d’âme. Les états d’âme d’un auteur.
Face à la foisonnante production littéraire dans notre pays, tout auteur, à un moment ou à un autre de son « œuvre », est amené à se poser la question de la pertinence de ses écrits.
Mes romans méritent-ils d’être publiés ? Offrent-ils au lecteur une alternative crédible, enrichissante et justifiée, noyés qu’ils sont dans l’ensemble de la production littéraire dont les librairies sont submergées ?
      En clair et plus brutalement dit : à quoi servent mes polars ?
      Je me le demande tous les jours en me rasant.


      Pourquoi les ajouter à ceux des écrivains talentueux – et très nombreux – qui encombrent les tables des librairies, tels que les auteurs nordiques ou américains ou anglais, ou italiens, ou… dont j’ai parlé plusieurs fois dans ce blog :
-         Henning Mankell (Les chiens de Riga, Le guerrier solitaire, Les morts de la Saint-Jean),
-               Stieg Larsson (Millenium),
-       Camilla Lackberg (La princesse des glaces, Le prédicateur), voilà pour les Suédois ;
-          Arnaldur Indridason, l’Islandais (La femme en vert, L’homme du lac, Le livre du roi) ;
-         le norvégien Jo Nesbo (Rouge gorge) ;
Parmi les Américains, je citerais évidemment Harlan Coben (Ne le dis à personne), dont je ne suis pas un fan, et surtout Michael Connelly et son inspecteur Harry Bosch.
Les anglais, RJ Ellory, il est britannique mais écrit des histoires qui se passent aux USA.
Etc….
Sans oublier, bien sûr, les maîtres français tels que
-       Pierre Lemaître, et sa trilogie Verhoeven, du nom de son personnage principal (Travail soigné, Alex, Sacrifices),
-         Franck Tilliez,
-         Michel Bussi (Un avion sans elle, Nymphéas noirs, Ne lâche pas ma main),
-         Maxime Chattam (La conjuration primitive).
-       Et aussi, évidemment, les Varois Marcus Malte, Karine Giebel (Purgatoire des innocents),
-         ou les Marseillais Jean Contrucci, Jean-Claude Izzo, etc… ?
     Je ne peux pas tous les citer. Je ne vais pas me lancer dans une fastidieuse énumération de tous les auteurs que j’ai lus et dont je parle dans ce blog.
Mais il faut bien reconnaître que la comparaison, a priori, n’est pas à mon avantage. Soyons lucides.
Une telle diversité, de grande qualité, ne peut que me conduire à m’interroger sur la pertinence de mes polars, dans ce contexte de haut niveau. Moi, le petit auteur régional.
Alors, qu’apportent mes polars que ne proposent pas les auteurs que je viens de citer ?
-         Le style est-il particulièrement original, comme celui de Marcus Malte, par exemple ? (Garden of love, Les harmoniques). Tous les critiques s’accordent pour reconnaître que c’est un styliste incomparable. Ses romans sont des modèles littéraires. Il dit volontiers qu’il est sensible à la musique des mots, l’harmonie des phrases. Alors, non, bien sûr, je n’aurais pas l’outrecuidance de me comparer à lui.
-         Le fond de mes histoires, le sujet, repose-t-il sur le réel, le vécu, comme dans les romans de Franck Tilliez, par exemple ? Alors, là, oui, sans doute. Comme lui, ma formation scientifique peut me conduire à réfléchir sur les dérives de la science et me donne une certaine légitimité (voir Le laboratoire du diable, Le règne de Saturne). Mais il n’y a rien de plus original que dans Atom(KA], par exemple, prétexte à une réflexion vertigineuse et accablante sur la catastrophe de Tchernobyl.
-         Alors peut-être, en désespoir de cause, est-ce que mes personnages sont mieux décrits, plus attachants, plus vivants, que le Kurt Wallander d’Henning Mankell par exemple, ou l’Erlendur d’Indridason ou le Verhoeven de Lemaître ? Bien sûr que non. Comment serait-il seulement possible d’oser afficher une telle prétention ?

     Donc, il me faut trouver d’autres arguments pour justifier la publication de ma série de polars construite autour de la personnalité du flic Félicien Aubin.
     Si je n’en trouve pas, autant mettre fin à ma carrière d’auteur à succès. C’est peut-être pour tout à l’heure !

S’il n’y avait que l’affaire policière et l’univers attachant (c’est le mot qu’emploient le plus souvent mes lecteurs dans les nombreux et sympathiques mails que je reçois) de mes personnages et en particulier, le principal et récurrent, le capitaine Félicien Aubin, j’avoue que j’aurais un peu honte à gaspiller du papier. Certes, tout cela est encourageant, mais un auteur qui s’évertue à rendre ses personnages vivants et attachants me paraît être la moindre des choses.
Examinons 3 possibilités de justification, un peu plus consistantes :
-         La première qui me vient à l’esprit est purement égoïste, narcissique même : écrire, raconter des histoires, me fait plaisir. Bon, d’accord ! C’est un peu court, jeune homme. Et le lecteur s’en fiche, et il a diablement raison. Que lui chaut l’égo prétentieux d’un auteur inconnu ! Il n’a qu’à raconter ses histoires en famille ou à ses amis. Le plaisir de l’écriture est nécessaire, sans doute, mais pas suffisant pour oser publier, solliciter l’attention du public.
-         La deuxième justification ne vaut guère mieux : mes manuscrits ont été « sélectionnés » par des éditeurs qui en reçoivent des centaines par an pour n’en publier que 2 ou 3 %. Cela signifie, bien sûr, que mes manuscrits ont franchi avec succès une barrière impitoyable, contrairement aux livres autoédités ou à ceux publiés à compte d’auteur, qui n’offrent aucune garantie au lecteur.
Est-ce suffisant ? Non, évidemment.
Ce critère permet, au mieux, d’assurer le lecteur que le livre qu’il paye très cher (trop cher ?) n’est pas bourré de fautes d’orthographe ou de syntaxe, que le style est correct, écrit en français, et peut-être aussi, que l’histoire qui est racontée tient la route. De là à parler d’œuvre littéraire, il y a un pas, un gouffre, un océan, que je ne m’aventurerais certainement pas à franchir.

-         La troisième justification est la seule, à mes yeux, qui a du sens : c’est l’ancrage profond de mes polars dans le terroir.
 Mes personnages récurrents évoluent dans le département du Var. Le décor est bien campé et le contexte qui va avec, aussi. Le cadre est reconnaissable et décrit dans tous ses aspects :
-         Géographiques : les paysages typiques liés à la géologie de la Provence calcaire ou de la Provence cristalline, séparée par la dépression permienne qui s’étend du Cap Sicié jusqu’à l’Estérel au N-E, le relief, le littoral, les forêts, la garrigue ou le maquis, avec leurs essences odoriférantes.
-         Climatiques : l’omniprésence du soleil et de la chaleur en été, le mistral tout puissant.
-         Culturels ou traditionnels : la pétanque, entre autre, si bien transcendée par les photos du photographe allemand Hans Silvester (expo magnifique vue l’année dernière à la villa Tamaris à La Seyne) ; les recettes de cuisine, soupe au pistou, bouillabaisse.
-         Sociologiques : rapatriés d’Algérie, population vieillissante, retraités.
-        Économiques : prix extravagant de l’immobilier, d’où difficultés  des jeunes pour se loger ; perte de l’emploi industriel 
-         Historiques : les 2 grandes cités varoises : Toulon, port de guerre et arsenal occupé par les allemands pendant la seconde guerre mondiale et bombardé par les alliés pour sa libération ; et La Seyne avec ses chantiers de construction navale qui ont façonné l’histoire de cette ville et des immigrés italiens qui s’y sont installés. Il y a aussi l’histoire de l’essor du tourisme à Hyères, à Tamaris, aux Sablettes.
-         Politiques : droitisation de l’électorat, implantation de l’extrême droite.
-         Écologiques : bétonnage du littoral, incendies de forêt, problème de l’eau.
Ce cadre est partie prenante de l’affaire criminelle. Il est essentiel. Mais le Var est plus qu’un simple cadre, c’est un des personnages de mes polars.
Cependant, je ne suis pas le seul, bien sûr, à écrire du polar de terroir. Je pourrais citer par exemple quelques auteurs marseillais :
L’incontournable Jean-Claude Izzo, mort trop tôt en 2000. Fils d’un immigré italien pour son père et d’une fille d’immigré espagnol pour sa mère. Dans sa trilogie marseillaise, éditée à La Série Noire (Total Khéops, Chourmo et Solea), le flic Fabio Montale n’est pas le seul personnage principal. Il partage cet honneur avec la ville de Marseille. Izzo restitue avec justesse et amour l’âme de cette ville. L’âme méconnue, secrète, dure, torturée, dans l’ombre des ruelles du quartier du Panier ou de La vieille Charité, ou encore du petit port des Goudes. « J’ai Marseille au cœur » disait-il.
Le truculent Maurice Gouiran, scientifique, mathématicien, écologiste, au style caustique, populaire, habitant Le Rove, un petit village aux portes de Marseille. Auteur d’une douzaine de polars (La nuit des bras cassés, le premier, Marseille la ville où est mort Kennedy, Putains de pauvres et le dernier, L’hiver des enfants volés). Il mêle, sous couvert d’une intrigue policière, des épisodes plus ou moins tabous de la grande et de la petite histoire de Marseille. Ses personnages évoluent dans les rues, les quartiers typiques de sa ville. Les dialogues, vivants, truculents, restituent parfaitement la gouaille populaire des marseillais. Il met en lumière les problèmes actuels de la cité et dénonce la destruction programmée de l’environnement naturel.
L’incomparable conteur qu’est Jean Contrucci. Auteur de la célèbre série policière et historique, Les nouveaux mystères de Marseille (clin d’œil en hommage au roman d’Emile Zola : Les mystères de Marseille). Le premier tome paru en 2002 : L’énigme de La Blancarde. Le dernier paru en 2014 : Rendez-vous au moulin du Diable. Contrucci décrit à merveille l’atmosphère du Marseille de la belle époque (1891), les cabanons au bord de mer, cette ville dans laquelle évoluent les deux enquêteurs : Eugène Baruteau, le chef de la police et son jeune neveu, le journaliste Raoul Signoret.
Je pourrais également citer des auteurs plus ancrés dans la Provence profonde. Un classique comme Pierre Magnan, bien sûr et son commissaire Laviolette, personnage principal du Sang des Atrides (prix du quai des Orfèvres en 1978) ou Le tombeau d’Hélios. Sans oublier La maison assassinée (1984), adapté au cinéma par Georges Lautner. Séraphin Monge, seul survivant, bébé, du massacre de sa famille, revient 20 ans plus tard sur les lieux du crime dans ces terres magnifiquement décrites, sauvages, accidentées, au climat rude, aux mentalités secrètes des gens des Alpes de Haute Provence, à Forcalquier. Le pays de Giono.

Mais cet enracinement de terroir n’est pas une exclusivité, ni varoise ni provençale. On le retrouve, bien sûr, dans d’autres régions de France et même à l’étranger :
En Bretagne, par exemple, il y a une tradition de polars bretons. Ou en Normandie (Michel Bussi) ou dans le nord. Des maisons d’édition locales diffusent cette littérature de terroir.
-         En Suède : depuis Mankell, le paradis de la social-démocratie suédoise apparait sérieusement plus nuancé. L’existence d’une extrême droite fascisante y est révélée.
-         En Islande : les paysages nordiques décrits par Indridason nous font mieux connaître l’histoire de ce pays, ses traditions (voir « Le livre du roi »)
-         En Irlande,
-         Aux USA,
-         En Afrique du Sud et son apartheid, thème récurrent chez Deon Meyer (voir « Les soldats de l’aube »).

En résumé, et pour conclure, je dirais que la diversité des formes et des styles de polar est certainement à l’origine de l’engouement de ce type de littérature, qu’on a souvent regardé par le passé avec une certaine condescendance. On avait tendance à  considérer les polars de manière péjorative un peu comme des romans de gare. Eh bien, outre le fait que je n’ai rien contre les romans de gare, je pense que le roman policier occupe aujourd’hui une place centrale dans la littérature. Je voudrais rappeler que le prix Goncourt 2013 « Au revoir là-haut », qui se situe après la grande guerre (14-18), certes, n’est pas vraiment un polar, mais que son auteur, Pierre Lemaître, s’est fait connaître et reconnaître en publiant des polars.  

Bien sûr il y a plusieurs manières de concevoir le polar et heureusement. Mais dans cette foisonnante diversité, pour illustrer le thème de cette causerie, je fais donc la distinction entre les romans dont l’action se passe dans des lieux fictifs, des villes inventées ou décrites sans les nommer, et ceux où elle est ancrée dans un territoire donné. C’est le cas de mes 4 polars. Vous avez compris que je ne méprise pas les premiers, bien sûr. Mon propos ne vise qu’à justifier le thème de cette causerie.
Mes polars racontent donc des histoires imaginaires, mettant en scène des personnages fictifs, mais qui se passent dans des lieux bien réels que les lecteurs connaissent et dans lesquels ils se retrouvent, ou des lieux qu’ils auront envie de découvrir après la lecture.
Mais ils se situent aussi dans un contexte sociétal qui fait référence à ces lieux. La mentalité du sud, du Var en particulier, a une certaine spécificité : sous des dehors souvent joviaux et bon vivants, les Varois peuvent être fermés, secrets. Leur convivialité n’est parfois que de façade, les rapports humains peuvent être superficiels. L’affaire criminelle est immergée dans cet environnement sociétal et humain.

Cependant, il n’y a pas que la référence au territoire dans les histoires que je raconte. Il y a aussi une réalité documentée :
- Dans « Crimes et sentiments », c’est l’univers de la voile de compétition autour de la célèbre Coupe de l’America et l’argent qui y coule à flot. L’action commence à Bandol, avec un enquêteur toulonnais, et nous entraîne à La Rochelle, Marseille, à Valence, Barcelone en Espagne où s’était déroulée une édition de la Coupe en 2007. On y découvre qu’il en faut parfois très peu pour basculer du mauvais côté de la société, du mauvais côté de la morale.
- Dans « Le laboratoire du diable », c’est la recherche scientifique en génétique avec le problème crucial de l’eugénisme et de la marchandisation du vivant qui est au centre de l’intrigue. L’action débute dans les environs de Toulon, au pittoresque village du Revest, par l’enlèvement d’un enfant dans une famille bourgeoise, se poursuit dans les paysages typiques du haut-Var, pour déboucher finalement sur une affaire qui concerne une multinationale tentaculaire impliquée dans plusieurs pays.
- Dans « En attendant Sarah », c’est l’écologie et le bétonnage du littoral varois convoité par des financiers pas toujours très propres. Sarah est une journaliste d’investigation qui se trouve tragiquement mêlée à un conflit d’intérêt qui oppose des promoteurs immobiliers peu regardants sur l’éthique de leur profession, au Conservatoire du littoral qui tente de faire valoir son droit de préemption sur des terrains que la Marine nationale décide de vendre. On se retrouve à Sanary, sur les hauteurs du Gros Cerveau ou sur la magnifique presqu’île de Saint-Mandrier.
- Dans « Le règne de Saturne », il est question des nouvelles découvertes en neurosciences et de leurs implications dans les processus de la mémoire et de la perception. Découvertes que tentent de s’approprier une secte, dont le siège est encore à Sanary, chemin de la Tourelle, qui cherche à s’emparer d’une couverture honorable pour mener à bien sa sale besogne d’avilissement des uns et d’enrichissement des autres.

Comme pour la plupart des polars modernes – ce que certains critiques appellent néo polar, comme il y a eu un «nouveau roman » (Alain Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute, Claude Simon, Samuel Beckett) dans les années 50, et le cinéma nouveau de la « nouvelle vague » (François Truffaut, Claude Chabrol, Jean-Luc Godard, Éric Romher, Jacques Rivette) – l’affaire criminelle n’est qu’un prétexte pour parler d’autre chose. En parler d’une manière attrayante, mêler le faux et le vrai, la fiction et la vie réelle.
Pour que le polar ne soit pas seulement du crime, des meurtres, des bagarres, du sang, des gardes à vue, des poursuites, des traques, des coups de pistolet, des tortures. Pour que  le côté sombre de l’humanité ne soit pas occulté, mais qu’il laisse parfois transparaitre quelques lueurs d’espérance.

Fort bien. Mais au final, c’est aux lecteurs de décider.
À vous, donc ! Avez-vous pris du plaisir à lire mes polars ? En avez-vous tiré un peu plus que cela ? Avez-vous appris quelque chose que vous ignoriez ?
Il y a une façon d’écrire des polars, mais il y a, peut-être aussi, une façon de les lire.
J’ai quelques réponses, encourageantes. J’attends la suite.

Et vos questions dans l’immédiat.

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