La littérature policière s’efforce de refléter la société telle qu'elle a été, qu'elle est, ou qu'elle devient.
Est-ce prétendre, alors, qu’énigmes, crimes ou intrigues, ne sont que prétextes à évoquer des faits passés, actuels ou futurs, qu'ils soient politiques, économiques, sociaux, régionaux ou nationaux, voire internationaux ?
Certainement pas.
Néanmoins l'enquête policière se déroule dans un environnement donné. Enquêteurs et criminels sont des hommes et des femmes immergés dans ce contexte.
Pour ce qui est de l'environnement, dans mes polars, c'est le Sud. Le sud de la France, et plus particulièrement, le Var, ses paysages, son climat, la mer, la mentalité de ses habitants, l'apparente convivialité et la violence sous-jacente.
Pour le contexte sociétal, ce sont les grands thèmes qui marquent notre époque : les injustices, la science, l'écologie, le climat, les migrations, le terrorisme, les droits de l'homme, le nationalisme, etc...

lundi 30 novembre 2015

"Chemin d'enfer", c'est pour bientôt

La sortie du cinquième opus des enquêtes de Félicien Aubin est prévue pour la mi-décembre. La couverture n'est pas encore arrêtée, la maquettiste de l'éditeur y travaille. La correctrice a fini son boulot.
Je vous propose les premières pages pour vous faire patienter.

Bandol. Mardi 25 juin 2019, 16 h 25
Gare SNCF


Le TGV duplex 6178 en provenance de Nice et à destination de Paris était immobilisé le long du quai de la petite gare de cette charmante station balnéaire de la côte varoise, qu’il traverse chaque jour à grande vitesse sans jamais s’y arrêter.
Les huit cent cinquante-sept voyageurs, descendus du train, étaient rassemblés sur le parking à droite du bâtiment. Ils attendaient les autobus qui devaient les ramener à Toulon, où un autre TGV avait été affrété afin qu’ils puissent continuer leur voyage. Informés de l’événement effroyable qui s’était produit dans le train, hébétés, ils s’interrogeaient les uns les autres. Mais le plus urgent était de se protéger du soleil de plomb de ces premiers jours d’été. Quelques-uns étaient assis au bord du trottoir. D’autres étaient appuyés sur les capots brûlants des voitures. Les plus débrouillards avaient réussi à trouver un peu d’ombre sous le feuillage de l’unique arbre situé en bordure du terre-plein. Les cigales qui squattaient ce pin n’avaient pas cru bon d’interrompre leur concert de cymbales.
La direction régionale de la SNCF avait réagi promptement. Le steward d’une des deux voitures-bars distribuait des bouteilles d’eau minérale, des canettes de jus de fruits, des biscuits secs et des friandises pour les enfants.

Les voyageurs de la voiture 5 à l’avant de laquelle se trouvait le cabinet de toilette où avait été découvert le cadavre, étaient regroupés à gauche du parking, côté taxis. Ils étaient interrogés par le lieutenant Louis Germain du commissariat de Sanary. Ce jeune officier sympathique, aidé par le second steward, avait le plus grand mal à faire respecter un semblant d’ordre.
Les autres voyageurs déambulaient librement.
Deux gardiens de la paix empêchaient l’accès à la minuscule salle des pas perdus. Seuls les plus vulnérables, âgés ou handicapés, ainsi que quelques femmes enceintes et d’autres avec leurs bébés, avaient été autorisés à entrer et à s’asseoir sur les bancs.
Dans le bureau du chef de gare, Virginie Sandrel répondait aux questions posées par la jeune et jolie brigadier Adèle Costa, elle aussi du commissariat de Sanary. Un contrôleur de la SNCF, visiblement émoustillé par la présence des deux femmes, était assis à côté de la voyageuse. Il lui proposait avec une insistance compatissante mais maladroite quelques biscuits et une boisson rafraîchissante, tout en jetant des œillades concupiscentes vers le visage d’ange de la brigadier.
Virginie Sandrel occupait la place 28 en salle basse de la voiture 5. Les traits tirés, pâle, cheveux blonds mi-longs, recroquevillée sur sa chaise, sa robe noire remontant jusqu’à mi-cuisses, elle avait l’air choquée. Son allure BCBG et un décolleté discret mais prometteur la rendaient plutôt séduisante. Elle ne put avaler que quelques gorgées d’eau minérale.
En arrivant sur le parking, le capitaine Félicien Aubin et son adjointe, la lieutenant Amandine Évrard, furent impressionnés par la longueur du convoi : les deux rames TGV couplées, leurs huit voitures chacune et les quatre motrices, dépassaient largement de part et d’autre du petit bâtiment qui avait l’air d’une gare d’opérette.
La vieille Mégane du capitaine se gara à côté des trois voitures de police déjà présentes.
– Qu’est-ce qu’ils foutent là, en plein soleil ? s’indigna Aubin, à voix basse, en sortant de la voiture. On les a parqués comme du bétail !
Guidés par un gardien de la paix, les deux officiers de la PJ de Toulon se dirigèrent aussitôt vers le bureau du chef de gare.
Sa belle-mère le lui disait souvent : Félicien, tu n’as pas l’air d’un vrai flic. « Un vrai flic » ! Cette expression l’amusait. Vêtu d’un polo bleu ciel à manches courtes et d’un jean délavé et usagé, il ne portait pas d’arme. Il laissait le plus souvent son Sig Sauer dans la boîte à gants de sa voiture. Entorse au règlement, récurrente chez lui. Il ne faisait pas ses cinquante-trois ans. Pas très grand, un mètre soixante-quinze à peu près, pas svelte mais pas trapu non plus malgré un léger embonpoint abdominal. Sa chevelure brune, épaisse, ondulée et sans la moindre traînée blanche lui donnait un certain charme.
Ils se présentèrent sobrement, interrogèrent succinctement leur collègue Adèle Costa et posèrent quelques questions à la femme prostrée qui avait découvert le corps ensanglanté dans les toilettes de la voiture 5.
Le chef de gare, ou du moins l’employé de la SNCF qui en faisait office, accompagna le capitaine Aubin jusqu’à la porte du wagon.
Un technicien de la police scientifique venait de déposer sur le quai un grand sac en plastique noir qu’il n’avait pas fermé. Il contenait une petite valise et une sacoche d’ordinateur portable maculée de sang.
La lieutenant Évrard était restée dans le bureau. Aidée par la brigadier de Sanary elle continuait à interroger la témoin avec bienveillance.
En entrant dans le wagon, Aubin salua le commandant Lucien Mignard. Le chef de l’antenne toulonnaise du laboratoire de police scientifique de Marseille était arrivé sur la scène de crime depuis une dizaine de minutes. Il était accompagné de trois techniciens en combinaison blanche.
Grand, plutôt costaud, crâne dégarni, Mignard arborait, en été, son éternelle dégaine d’estivant : bermuda kaki, tee-shirt bariolé et tongs.
Salut, vieux ! Ils t’ont sorti de la naphtaline ?
– Pourquoi, ça sent encore ? Salut Lucien, content de te voir…
– Il fallait plus venir ! C’est ta vieille caisse qui avance plus, lieutenant Colombo ? Viens voir ça, si ta petite nature n’y voit pas d’inconvénient, dit le commandant en s’écartant de l’étroit couloir pour laisser passer son collègue.
Mignard et Aubin étaient amis de longue date. Une amitié fidèle, pas toujours sereine, mais sincère. Mignard était venu en aide plusieurs fois à son camarade depuis sa nomination au laboratoire de Toulon, une quinzaine d’années auparavant. Il faut dire qu’Aubin avait le chic pour se mettre dans des situations embarrassantes vis-à-vis de sa hiérarchie. Cela lui avait valu un déroulement de carrière plutôt chaotique et peu brillant. Son ami l’avait toujours soutenu.
Le cadavre était dans une curieuse position. Effondré sur la cuvette des toilettes, de trois quarts arrière, braguette ouverte, sexe dehors, pantalon mouillé, le front appuyé sur le rebord du lavabo rempli d’un sang plus ou moins coagulé qui commençait à noircir en séchant.
– Eh oui, il était en train de pisser, le malheureux. Regarde devant… le cou, suggéra le chef de la police scientifique.
La porte, s’ouvrant vers l’intérieur, butait sur le cadavre, gênant l’accès à ce cagibi exigu qui puait déjà. Aubin se pencha comme il put et essaya d’éviter autant que possible de mettre les pieds dans la flaque collante de sang mélangé à de l’urine qui s’était répandue sur le sol et qui prenait une teinte noirâtre. Il fit immédiatement un geste de recul et eut un haut-le-cœur. Il avait eu le temps de distinguer une profonde échancrure, pas très large, au niveau de la pomme d’Adam. La blessure laissait entrevoir une sorte de tube annelé cartilagineux dont l’ouverture béante d’un à deux centimètres de diamètre était plus ou moins obstruée par des bulles rouges figées. Il n’essaya pas de voir plus en détail. Il fit une grimace d’écœurement, s’éloigna prestement du cabinet de toilette et s’approcha de la portière ouverte pour respirer de l’air frais.
– Oh, chochotte, il ne mord pas ! Tu vas quand même pas partir dans les pommes ! T’as l’air d’un dur à cuire, à première vue, mais en fait t’es qu’une petite nature, toi ! Le gros tuyau, c’est la trachée… autrefois on disait « trachée-artère ». C’est par là que l’air entre dans les poumons… Et qu’il en ressort aussi, bien sûr.
Saigné comme un porc, murmura Aubin qui commençait à retrouver des couleurs. Couteau ou rasoir ?


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