On me demande parfois si j'ai reçu des commentaires de lecteurs à propos de mes polars. Je réponds oui, bien sûr, mais je n'ai jamais eu l'orgueil, l'outrecuidance, d'oser les publier.
J'aurais préféré que ceux qui me font l'honneur de me faire part de leur jugement sur mes romans, le fassent directement sur ce blog. Or, il s'avère qu'aucun ne l'a fait. Ils préfèrent - pour d'évidentes raisons de commodité - me faire parvenir leur texte par mail.
A partir d'aujourd'hui, sous cette rubrique, je publierai quelques uns de ces messages.
Serez-vous étonnés de constater qu'il n'y en aura pas de "négatif" ? Pourquoi ? Tout simplement, parce que, effectivement, je n'en ai pas reçu, ce qui me paraît naturel. Si le livre n'a pas plu, pourquoi perdre son temps à écrire un commentaire ?
Commençons donc par le premier message reçu en 2011, suite à la parution de Crimes et sentiments, le premier polar de la série des enquêtes de Félicien Aubin. Vous trouverez, peut être, dans cette critique, des arguments qui vous inciteront à lire ce premier polar.
De
René Le Gal, je connaissais son premier roman, "Un jeune homme
d'Italie", qui racontait de façon vivante et colorée, mais sans artifices,
la saga de sa famille immigrée. J'avais été passionné par cette chronique d'une
intégration enthousiaste et réussie, exemplaire par la recette qu'elle propose
aux nouveaux venus, candidats à la naturalisation.
Dans
"Crimes et sentiments", le même auteur se lance dans un genre nouveau
pour lui et, pour son coup d'essai, réalise un coup de maître. Le titre choisi pourrait
apparaître comme une sorte d'écho à celui d'œuvres de Dostoïevski ou d'Ingmar
Bergman, mais il se justifie pleinement, sans intention racoleuse : ce n'est
pas forcément parmi les assassins que l'on découvre le plus de noirceur. L'âme
humaine est explorée ici avec à la fois une lucidité et une indulgence
infinies.
L'intrigue
policière tient le lecteur en haleine, comme dans tout roman de série noire
bien ficelé. Cependant ce sont d'autres aspects de l'ouvrage qui m'ont le plus
surpris et ravi par leur caractère insolite et largement novateur. Les
péripéties des existences individuelles s'inscrivent dans un contexte global,
historique, politique, économique et social, qui contribue à les éclairer.
L'action se situe dans un laps de temps de quelques décennies, donc assez bref,
mais à cheval sur le passé récent, le présent et le proche avenir. La fiction
prolonge ainsi, de manière crédible, une réalité connue et incontestable.
Une
dernière remarque sera certainement partagée par d'autres lecteurs. René Le
Gal, pour se préparer à son métier d'enseignant, a reçu une formation
scientifique, donc implacablement rationnelle et ne prédisposant pas
spécialement à la création sans contrainte de l'artiste écrivain. Il a
d'ailleurs aussi publié des ouvrages de vulgarisation, fort utiles quand on
connaît la clarté de son expression. Or, dans "Crimes et sentiments",
il fait preuve d'une autre maîtrise du langage, que beaucoup de purs
littéraires pourraient lui envier. Son imagination est féconde, son style
fluide, son vocabulaire riche, diversifié, et cependant sans prétention et
compréhensible de tous, ce qui atteste un grand respect des autres. Dans la vie
réelle, on sait que le langage écrit ne reflète pas fidèlement le langage parlé
et qu'il y a même un grand écart entre eux. Les romanciers doivent composer
avec cette dualité de la langue. La difficulté est à son comble quand il s'agit
de retranscrire la parole lors d'échanges verbaux. Le tour de force de René Le
Gal, qui accorde une place privilégiée aux dialogues, est de faire s'exprimer
ses personnages entre eux dans un français très pur, tout en laissant à leur
propos un ton naturel et vraisemblable. On ne peut mieux militer pour la
défense du langage universel et de notre langue en particulier.
Au
total, voilà un livre qui se déguste avec beaucoup de plaisir et de profit et
qui force le lecteur à l'admiration et à la reconnaissance pour l'engagement
humaniste dont il est porteur. Les points de suspension qui suivent la dernière
ligne du livre permettent d'espérer une suite de la même veine en compagnie de
l'inspecteur - pardon, du
lieutenant! – Félicien Aubin.
Pierre
Vignes, 2011
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